Courrier International
Le mot “débrouillard” peut désigner une personne qui a de l’ambition, qui déborde d’énergie et d’esprit d’initiative. Mais il a aussi le sens de “filou”, “escroc” ou “arnaqueur”. Au cours de sa première année au pouvoir, l’autoproclamé “débrouillard en chef” de la nation kényane, le président William Ruto, a manifestement transformé son dictionnaire des synonymes en check-list.
Sur la scène internationale, William Ruto se positionne comme la voix de l’Afrique, donnant haut et fort son opinion sur des questions telles que le changement climatique, la suprématie du dollar et les partenariats déséquilibrés entre le Nord et le Sud.
Mais, dans le secret des conseils d’administration, le “roi de la débrouille” est le chouchou des institutions de Bretton Woods [le Fonds monétaire international et la Banque mondiale] parce qu’il a le don de tout transformer en marchandise. Le Kenya est son hameçon, et les gains sont énormes : de luxueux voyages à l’étranger, un budget multiplié par trois pour son épouse, de possibles pots-de-vin pour les législateurs, la rénovation du palais présidentiel selon ses goûts et des montres à 50000 dollars à son poignet.
Sa position sur le changement climatique est révélatrice. Il fait tout pour être vu comme la Greta Thunberg du Kenya : il assiste religieusement aux événements pour le climat et a organisé la première Semaine africaine du climat, où il s’est rendu en voiture électrique. Il pointe du doigt les gros pollueurs, a instauré une journée nationale de plantation d’arbres, promis une énergie 100 % renouvelable d’ici à 2030 et appelé à une campagne mondiale en faveur d’une “taxe carbone”. Mais, lorsqu’on gratte ce vernis, on constate que William Ruto a tendance à minimiser la menace existentielle posée par le changement climatique et à orienter plutôt son discours vers les “possibilités” qu’il ouvre.
Accords secrets. Les crédits carbone, par exemple, sont pour lui un moyen de tirer des profits de la nature kényane. C’est ainsi que des millions d’hectares de forêt ont été attribués à des étrangers dans le cadre d’accords secrets. La seule chose que le “débrouillard en chef” ait à faire, c’est expulser les Kényans de leurs terres.
À en croire l’image qu’il se donne, il serait le président des pauvres. Pourtant, 70000 emplois et un nombre incalculable de petites entreprises ont disparu dans l’année qui a suivi son arrivée au pouvoir. William Ruto a surclassé son prédécesseur, Uhuru Kenyatta, en empruntant deux fois plus d’argent au cours des huit premiers mois de son mandat. Et la valeur du shilling kényan a dégringolé jusqu’à un niveau historiquement bas.
Le montant des défauts de paiement enregistrés par son “Fonds des débrouillards”, un programme de microcrédit destiné à financer des microentreprises, aurait atteint 9,9 milliards de shillings [59 millions d’euros] en onze mois.
Confrontés à la brutalité fiscale de leur leader, les Kényans ont pris l’habitude de l’appeler “Zakayo”, une allusion à Zachée, le collecteur d’impôts de la Bible [dans l’Évangile de Luc], parce qu’au fur et à mesure que les comptes du pays ont viré au rouge il s’est contenté d’instaurer de nouvelles taxes ou de nouveaux impôts. Les spécialistes ont qualifié de “razzia dans les poches des citoyens” son intention de prélever 1,5 % de plus sur les revenus par le biais d’une nouvelle taxe sur le logement. Les hommes de loi semblent partager leur avis, puisque la Haute Cour et la Cour d’appel se sont prononcées contre le projet.
Alors peut-être est-ce son image de “dirigeant choisi par Dieu” qui lui correspond le mieux ? Pour comprendre ses inclinations idéologiques, il faut avoir en tête son parcours politique. En 1992, la Youth for Kanu (YK’92) [une organisation de jeunes militants du parti Union nationale africaine du Kenya, ou Kanu] a permis à Daniel Arap Moi, alors l’homme fort du Kenya, de rester au pouvoir à l’issue de l’un des scrutins les plus frauduleux et sanglants qu’ait connus le pays.
William Ruto, qui dirigeait alors la YK’92, a assuré l’avenir politique de son mentor. Mais ce premier accomplissement l’a engagé sur un chemin pavé de violence, qui l’a conduit devant la Cour pénale internationale [CPI] pour son rôle dans les massacres qui ont suivi les élections de 2007 [William Ruto avait été inculpé de crimes contre l’humanité : meurtre, déportation, persécution et transfert forcé de population]. Dans son pays, sa proximité avec les fondamentalistes chrétiens est primordiale pour blanchir son image d’assassin [il est le premier président chrétien évangélique du Kenya].
Infirmières. À l’étranger, William Ruto fait la cour à l’empire [américain], qui le regardait avec dégoût il y a dix ans, en signant tous les projets néolibéraux qu’on lui met sous le nez. Il est heureux d’exporter de la main-d’oeuvre partout, même vers des pays exploiteurs ou racistes tels qu’Israël, le Liban, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et l’Allemagne. Il peut ainsi parler à ses amis de Bretton Woods de l